Le Noir de l’encre
Date
VERNISSAGE VIRTUEL : VENDREDI 22 JANVIER À 17H EN DIRECT
Idéation : Joanne Poitras
Le Noir de l’encre tire sa naissance d’une formation en lithographie donnée par Joanne Poitras à l’atelier Les Milles Feuilles de Rouyn-Noranda en 2019. Six femmes apprenties lithographes se sont penchées sur l’épreuve fraîchement sortie de la presse, à la recherche du noir qui donnerait à l’image la juste mesure de leur regard sur le monde.
S’est alors cristallisé le projet d’approfondir à travers les variations sur le thème du noir de l’encre les histoires auxquelles chacune tentait de faire écho lors de premières ébauches lithographiques.
Le noir de l’encre. Ces mots évoquent une époque lointaine et révolue au cours de laquelle le noir de l’encre a investi le dessin, la calligraphie et l’estampe. Aujourd’hui, il est une référence pour qui travaille le monde de l’image et il constitue le sujet de compositions à variations infinies.
INAUGURATION DE L’EXPOSITION EN LIGNE
Le Noir de l’encre expose sous le mode exploratoire, grâce à ce collectif de douze artistes, des lithographies, de la peinture et du dessin, un livre d’artiste, des monotypes, des collages et même une conversation en téléprésence.
Le Noir de l’encre expose sous le mode exploratoire, grâce à ce collectif de douze artistes, des lithographies, de la peinture et du dessin, un livre d’artiste, des monotypes, des collages et même une conversation en téléprésence.
DISCUSSION AVEC MICHEL MELOT, HISTORIEN
LES ARTISTES
Matière noire – Luc Boyer
Que ce soit en bandes dessinées ou au cinéma, l’imaginaire et la science fiction ont toujours marqué mon existence. Tous ces personnages, lieux et univers atypiques qui permettent de voyager hors du quotidien, hors de la matière, sont pour moi une source de découvertes et d’inspiration. Mes œuvres se créent de manière instinctive, spontanément, autant en dessin qu’en sculpture. Je souhaite qu’elles soient des points de départ pour faire voyager quiconque s’y attarde un peu.
Des milliers de petits gribouillis se juxtaposent, se superposent et se transforment en des noirs plus ou moins denses. La lumière qui trouve sa place tout doucement fait apparaître des volumes vaporeux et des atmosphères. Les repères, de plus en plus rares, deviennent immatériels. Les formes s’envolent comme brouillard au soleil. Se manifestent alors l’infiniment petit et l’infiniment grand.
Des milliers de petits morceaux de papier imprimés et déchiquetés se métamorphosent en matière et espace. La structure s’impose et les formes organiques inspirées des abysses et de l’intérieur du corps humain se matérialisent. Le voyage vers l’imaginaire est déjà commencé.
Mon noir de l’encre est une estampe de confinement.
Habitant une partie de mon temps aux Açores, je pose mon regard sur l’état d’un monde en dérive dans un environnement encore (mais pour combien de temps) en partie sauvegardé.
Pour le projet Le noir de l’encre, j’envisage un travail de représentation cartographique pour exprimer ce monde vers lequel nous risquons d’aller – mais où le noir prend différentes profondeurs, différents reflets, différentes épaisseurs, différents sens et connotations … un noir de désespoir tout autant qu’un noir d’espoir.
La forme finale des estampes dépend de la matière noire qui est broyée pour imprimer, pour engluer, pour sublimer mes matrices.
Le noir de l’encre est un thème qui me fascine depuis longtemps. Aussitôt que je me suis mis à faire de la lithographie en 1969, j’ai été estomaqué de voir la qualité du noir de l’encre Charbonnel. Le noir de l’encre lithographique est si profond. Je n’ai jamais vu un foncé aussi pur et des nuances de gris si intéressantes. Ce noir, je l’ai d’abord vu sur mes lithographies en noir et blanc produites à Genève en 1974.
Ma démarche aujourd’hui s’actualise par des collages réalisés à partir de découpages de mes lithographies anciennes et perpétue la beauté du «noir de l’encre».
Pour réaliser un collage sur le thème de l’artiste et son modèle, par exemple, je choisis minutieusement les estampes qui me serviront à sa fabrication. La qualité du noir est toujours le premier critère qui me guide. Je découpe dans une estampe les morceaux qui me donneront un noir ferme et uniforme et des gris riches et soutenus.
Les collages réalisés présentent une qualité de noir impeccable et variée. Le noir des images s’offre à nous dans toute sa force et ses nuances. Sans ce noir, l’œuvre serait mièvre et indigne de ravir le public qui la regarde.
Ma démarche artistique est axée sur une interprétation sensible et intuitive de la réalité. J’aspire à approcher l’essence de ce qui est devant moi ou à l’intérieur de moi, et à poser ce ressenti sur le support.
Ma contribution au projet collectif Le noir de l’encre est un livre d’artiste intitulé Dom Detey No2, ce qui signifie Maison des enfants No2, en russe. Dans le livre d’artiste, le contenu et le contenant s’alimentent, se complètent et se transcendent l’un l’autre. L’œuvre communique autant par sa trame narrative que sa forme plastique. Dom Detey No2 traite de l’adoption d’une enfant slave par des parents québécois, en mettant en parallèle le vécu de l’enfant en institution et celui de la future mère, à différents moments de l’attente.
Tant le noir que l’encre m’apparaissent comme les piliers sur lesquels appuyer mon œuvre. Le noir, conçu comme une absence de lumière, permet de rendre compte du vécu en orphelinat et du vide intérieur de la mère. L’encre, pour sa part, tour à tour liquide et pâteuse, rend possible l’écriture autant que l’impression. Du procédé lithographique résulte parfois des traces sur le papier, qui permettront de révéler les fantômes qui hantent la relation mère-enfant.
Mon projet unit l’intime et le géographique. Originaire de Montréal, mais établie en Abitibi, je cherche à entrecroiser divers horizons de ces sphères quotidiennes : le territoire arpenté et les résonances personnelles qui en découlent.
C’est par le travail de recherche et de création en art imprimé que je conjugue ces univers pour créer de nouveaux horizons, grâce à l’union du papier et de l’encre des presses. En effet, les lieux choisis, icônes territoriales reconnues, vont permettre, une fois superposés et métamorphosés, de créer un nouvel horizon, une nouvelle identité en ramenant le tout à une expression simple : la ligne, la masse d’encre. Par ce travail d’assemblage et de superposition des visions, je cherche à soutenir le souvenir et l’identité dans leurs mouvances.
Un principe général oriente mon travail : des images empruntées au réel sont détournées de leur contexte ordinaire par un jeu sur les frontières de la figuration et de l’abstraction. La recherche de signification caractérise la marche des humains. Cette quête amène à questionner la réalité perçue et les réels possibles.
L’encre est associée à la couleur noire par ses caractéristiques matérielles, de manière aussi manifeste que le charbon, la suie ou le goudron. De même, certains animaux sont associés au noir par leur apparence. Dans ce cas, une charge symbolique se superpose à l’association formelle : ainsi, la bête noire, qui selon les cultures peut être un chien, un chat ou un mouton, devient signal de mauvais présage ou encore de danger.
Dans les œuvres présentées, encre de Chine et encre sérigraphique noires se combinent pour masquer partiellement, sous des formes abstraites, différents animaux associés à la couleur noire. Ce jeu entre masquage et transparence des encres noires pousse le regardeur à chercher la bête. Il en arrive à découvrir un bestiaire qui se révèle à la manière d’une épreuve photo argentique lors de son développement ou, encore, lors du retournement de la première impression d’une estampe. Curiosité, confirmation et une certaine surprise se combinent dans la découverte graduelle de l’image anticipée.
Je suis de ces personnes pour qui le respect de la vie privée est une chose très importante. Je suis d’une génération qui a connu l’époque pas si lointaine où la vie intime et les renseignements personnels n’étaient naturellement pas facilement accessibles à n’importe qui. Maintenant, il est courant de voir les gens diffuser ces précieuses informations personnelles avec, en prime, les photos de leurs enfants. Ma démarche se veut une réflexion sur ces changements de valeurs.
J’utilise la lithographie pour donner une nouvelle dimension aux dessins que je fais depuis toujours au marqueur à pointe fine. Les encres noires de la lithographie, les différents papiers utilisés, mes dessins abstraits, tout cela combiné aux silhouettes tirées de photographies de mes enfants et petits-enfants, les rend étrangement anonymes, méconnaissables.
La forme, c’est le fond qui remonte à la surface.
Victor Hugo
Je travaille sur la nature éphémère et décomposable du matériau accumulé et de l’empreinte, de la marque que cette dernière laisse au passage. À partir de ces éléments, j’interroge notre rapport au monde.
En mars 2014, l’église du village de St-Eugène-de-Guigues a été ravagée par les flammes. Les jours qui ont suivi, avec l’accord des autorités locales, j’ai photographié, filmé les lieux et recueilli des restes sous les décombres. J’utilise ces artéfacts dans un projet artistique pour réparer l’imaginaire. Les objets ramassés sont dessinés sur les matrices. Les encres noires sont empilées une couche à la fois sur un papier que la raclette écrase en glissant sous la pression du tympan de la presse lithographique. Je cherche la lumière et la forme sous les différentes couches de noir accumulées afin que l’objet renaisse… autrement. Le noir de l’encre devient les parois de tunnels qui mènent vers les lumineuses profondeurs.
Ayant pratiqué la médecine pendant 15 ans, mon intérêt pour la richesse et la complexité de l’humain se poursuit naturellement dans ma démarche artistique. « Qu’est-ce qui est humain ? Avons-nous un patrimoine distinct ? »
Les cyborgs, les manipulations génétiques, les implants, la réalité augmentée, le clonage frappent à notre porte. Le mythe d’Héphaïstos, dieu forgeron, et de ses automates devient actuel. L’automate est un être artificiel créé pour effectuer une tâche précise. Il est doté d’une résistance qui se rapproche de l’immortalité. L’automate libère l’humanité du besoin de travailler et peut s’avérer bénéfique. Mais sa conception supérieure rend possible l’étiolement des humains et la disparition de l’humanité. L’informatique, l’intelligence artificielle, la robotique seraient-elles les descendantes d’Héphaïstos ? La connaissance peut-elle transformer la matière inanimée en instrument intelligent sans menacer le monde des humains ?
Le noir de l’encre m’amène à approfondir ces dualités : homme-machine, bienfait-malédiction, libération-asservissement. Des impressions assemblant différentes techniques et différentes encres noires sur le papier blanc témoignent de mes tentatives pour donner forme et vie à une création. Le substrat, au lieu de métal, sera de papier. L’encre est le moyen d’agencer les matériaux entre eux et de les animer.
Violaine Lafortune : Conversation visuelle avec Ram Samocha, Session N°3 10.11.2020, Monotype
Par une performance collaborative alliant vidéo et art imprimé, Ram Samocha et Violaine Lafortune ont utilisé la thématique du noir de l’encre pour questionner la réalité des conversations virtuelles.
Le duo a utilisé comme base de travail une conversation en téléprésence au cours de laquelle, en utilisant de l’encre noire sur un plexiglas placé devant l’écran de l’ordinateur, ils ont progressivement noirci / révélé l’image de l’autre. Le processus conduisait à porter une réelle attention à cette image / personne, malgré la distance. En même temps, l’encrage modifiait considérablement l’apparence réelle de l’autre, tout en conservant des détails précis, à l’instar de la façon dont notre mémoire retient les événements passés.
Alors que la conversation était numérique, le marquage était tangible. Il captait l’essentiel de l’image: les espaces, les contrastes, et ce, tout en marquant le passage du temps. À la fin, le plexiglas, qui faisait office de plaque d’encrage, a été imprimé sur papier, laissant une trace concrète d’une conversation que notre mémoire effacera avec le temps.
Le processus a été documenté par deux vidéos qui accompagnent les monotypes qui, eux, sont la trace tangible d’une conversation virtuelle vouée à l’oubli.
>Ram Samocha a étudié et vécu en Israël, au Canada et au Royaume-Uni. Il est le fondateur de Draw to Perform Company, une plateforme permettant aux artistes de rassembler, collaborer, partager et échanger des idées autour du dessin performatif. Reconnu aux niveaux national et international, son travail fait partie de divers musées et collections privées. Samocha réside à Brighton, au Royaume-Uni.
Violaine Lafortune est titulaire d’un certificat en arts plastiques de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue et d’un doctorat en géographie physique de l’Université Laval. Son travail a été présenté lors d’expositions collectives et de performances solo. Originaire de la région de Montréal, elle vit et travaille à Rouyn-Noranda, au Québec.
Mes tableaux témoignent d’une recherche picturale centrée sur les notions d’utopie véhiculée par l’art et son histoire. Souvent de grand format, mes tableaux sont des mosaïques d’ensembles de symboles et de savoir-faire discordants, donnant lieu à une revue des genres en peinture. Cette pluralité propose une réflexion sur la peinture dans ses quêtes de spécificité, développées au cours du siècle dernier.
Dans ce projet, l’oeuvre de Manet, Déjeuner sur l’herbe, est revisitée. Cette référence est teintée d’ambiguïté par l’emploi d’éléments picturaux propres aux caractéristiques de l’environnement abitibien. Le tableau témoigne de la fin d’un cycle par la représentation de l’obscurité et de la disparition. Peint à l’encre noire, ce paysage se veut une allégorie des changements de paradigme liée à une vision trouble d’un monde en changement.
Donald Trépanier, Déjeuner dans la nuit, Variation 2, 2021.
Acrylique et encre sur papier géofilm.