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Francis Boivin | Ma caverne à Platon

Date

30 Juin 2021 - 06 Sep 2021
VERNISSAGE : MERCREDI 30 JUIN DE 17 H À 19 H

Bière et saucisses

Ma caverne à Platon de Francis Boivin, qui vit et travaille à Rouyn-Noranda, réunit près d’une quinzaine d’œuvres. Dessins, structures servant à photographier, photographies, animation numérique tracent un parcours qui s’étend sur une dizaine d’années.

Que voit donc cet œil intérieur? Voici une question sur laquelle Plotin s’était penché pour nous en livrer sa perception dans son texte intitulé Ennéades. La question que je me suis alors posée en réaction à celle de Plotin est la suivante : Mais à quoi peut bien ressembler un œil intérieur?À partir de la description de cet œil intérieur élaborée par Plotin, j’ai compris qu’il fonctionnait un peu comme un véritable œil. Comme la photographie de l’extérieur d’un œil vivant est une composition circulaire et qu’elle n’apporte rien de nouveau que de regarder ses yeux dans un miroir, il me fallait l’ouvrir de par son image. L’étude de mes yeux avec l’aide de la photographie transformée par ordinateur s’est imposée, car j’avais l’intuition que je pourrais peut-être en créer une image intéressante. Au moyen d’une multitude de photographies et de transformations numériques, j’ai réussi à trouver une image dont l’essence nous rapporte à l’idée de la caverne de Platon bien qu’il ne s’agisse que d’un œil ouvert sur une ligne d’horizon plutôt qu’un œil fermé par sa circularité. À l’avant-plan, en bas et de chaque côté, je reconnais des parois rocheuses qui ne sont en réalité que mes paupières. Au premier plan, un sol de lumière qui n’est que le blanc de mon œil. Au deuxième plan, des silhouettes humaines qui ne sont que mon iris. Au troisième plan, l’obscurité de la caverne qui n’est que ma pupille. Finalement et à l’arrière-plan, une ouverture dans le haut de la caverne nous laissant voir la lumière extérieure qui n’est que le flash de ma caméra.

Francis Boivin

L’exposition 

L’œuvre intitulée Ma caverne à Platon ou l’œil intérieur (2009) provient d’une photographie de l’iris de l’artiste dont l’image modifiée offre une sorte de mur sombre sous lequel dansent des silhouettes. Si nous en avons cette impression, c’est qu’il fait référence au mythe que Platon introduit dans le livre V de sa République. Dans cette allégorie qu’il rapproche de l’idéal d’un système politique à venir, la république, Platon résume que le citoyen et, par le fait même, l’homme politique n’est encore qu’un homme des cavernes qui comprend le monde extérieur par les ombres qui lui sont rendus sur les murs de sa grotte.

La seconde partie du titre nous ramène, elle, à l’invisible de certaines choses qui meuvent le monde, soit les sentiments et les pensées, ceux-là vus par l’œil intérieur. Ramener son œil, intérieur ou anatomique, à la caverne de Platon, c’est d’abord expliquer comment s’imprime l’image dans l’œil et c’est aussi le mécanisme qui donne naissance à la photographie. Étant photographe, Francis Boivin est très conscient de ce qu’il dit. Par ailleurs, en utilisant sa propre iris, il nous prépare à voir qu’il se situera au centre du monde qu’il étudie. Qu’il en sera l’étalon de mesure, l’échelle à partir de laquelle il mesure le monde.

Mais c’est aussi introduire le doute. Toute captation soit-elle naturelle ou mécanique ne mène pas à la connaissance complète du monde. Ainsi en est-il de nos vies et de toutes nos sciences. Ainsi le doute est-il salutaire à tout raisonnement.

6_Ma caverne à Platon ou l'oeil intérieur, 2009, épreuve numérique, 12''x12''

Ma caverne à Platon ou l’oeil intérieur, 2009, épreuve numérique, 12”x12”

2_Capsule matricielle et monte charge (plan aérien), 2013, transfert d'image, 12''x12''

Capsule matricielle et monte charge (plan aérien), 2013, transfert d’image, 12”x12”

1_Capsule matricielle et monte charge (plan latéral), 2013, transfert d'image, 12''x12''

Capsule matricielle et monte charge (plan latéral), 2013, transfert d’image, 12”x12”

Pourtant, c’est l’œil intérieur, ou le cerveau, qui construit la compréhension du monde telle qu’elle nous meut et nous fait agir. Dès sa formation en art, Francis Boivin réitère les exercices lui permettant de transposer cette impression de totalité que fabrique notre cerveau. La Capsule matricielle et les Instruments gradués sont d’abord de véritables engins artisanaux créés pour capter des environnements en 360 degrés ou des objets tridimensionnels. Mais leurs architectures, imposantes, sinon intrigantes, se sont imposées comme des objets installatifs qui interpellent le visiteur. La frontière entre la création finale et l’objet de captation a fini par s’estomper.

La fascination devant ces objets nous ramène loin en arrière au temps de la mécanique. La brutalité de leur architecture s’oppose à la lissité qui caractérise les boîtiers et objets issus des nouvelles technologies d’aujourd’hui. Les chiffres tracés au plomb sur les rouages et les châssis de bois, leurs encoches, les vis et tarots apparents, les glissières ouvertes à la vue sont autant d’indices qui activent notre cerveau et nous font passer de déduction en déduction. Leurs noms, Capsule matricielle et monte-charge (plan latéral ou plan aérien), ici pour le dessin ou Instrument gradué polyvalent pour sujet centré et structure cubique ajustable et Instrument gradué polyvalent pour sujet environnant, pour les engins, renvoient tout autant à la fonction de l’outil qu’ils endossent une poésie qui rend hommage à la richesse du vocabulaire des sciences du génie.

Cette poésie des titres permet un passage du monde technique au monde métaphysique. Ce dont témoigne, Gris comme le roc, une impression numérique qui d’un premier coup d’œil se présente comme un paysage normal alors qu’il s’agit en réalité d’une image à plus de 300 degrés. L’échelle de la nature nous est transmise par la présence de l’artiste lui-même dans un paysage si caractéristique du sol abitibien. Pouvant paraître surprenante, cette présence de l’artiste est manifestement cet « œil intérieur » à partir duquel se mesure le monde. Cette captation du monde, dont fait partie l’artiste, est réalisée avec un dérivé l’Instrument gradué polyvalent pour sujet environnant.

7_Gris comme le rock, 2010,Impression numérique sur alupanel brossé, 37'' x 22''
Gris comme le roc, 2010, Impression numérique sur alupanel brossé, 37” x 22”
9_Poème cataclysmique, 2014, épreuve numérique, 24'' x 24''
Poème cataclysmique, 2014, épreuve numérique, 24” x 24”

L’Abitibi est situé au cœur du Bouclier canadien, une immense masse rocheuse archéenne raclée par les glaciers et aujourd’hui parsemée de blocs erratiques, d’eskers et de falaises profondes. L’exploitation des minéraux, gravières ou mines, en font affleurer la vue. Francis Boivin fait référence à cette minéralité ambiante. Vertige terrestre II questionne par l’envers les grandes forces gravitationnelles qui gouvernent les planètes. Mais la roche suspendue est innervée de reflets de métaux précieux, cuivre et or étant les métaux qui façonnent le paysage actuel. Poème cataclysmique, où figure à nouveau l’artiste armé de son instrument gradué, évoque depuis l’intérieur d’une caverne naturelle les grandes fractures tectoniques d’où s’échappent avec fracas et beauté des minéraux aux coloris si variés.

Cette minéralité, dont la grotte qu’explore l’artiste, n’est pas étrangère non plus à cette interpellation de la caverne de Platon. Photographier la grotte, au cœur du roc, c’est aussi se rapprocher du mystère tellurique. La grotte demeure un refuge, un lieu qui invite d’abord à l’exploration d’un monde méconnu et qui pourrait offrir un abri sûr. La fascination de la grotte est ancienne; la roche éveille une mémoire si lointaine que la communication semble plus minérale, plus atomique. La roche semble contenir une part importante de sagesse, terme qui, chez Platon, recouvrait aussi la connaissance. Tout géologue abitibien vous dira qu’une « carotte », échantillon cylindrique retiré du sol lors du forage, contient une bien vieille histoire.

Les Études de tuyaux et d’un papillon sont une manipulation numérique d’une prise de vue intérieure de tuyaux de ponceau dont les replis photographiques induits par la structure des tubes ont laissé apercevoir un probable papillon. La suspension du papillon, comme épinglé au paysage duquel il extrait sa stratégie de camouflage, est purement séduisante. Et camoufle complètement l’origine de sa formation : la forme chenillée des tuyaux évoquait pour Francis Boivin la chenille !

Une animation numérique boucle la boucle. Gris comme le roc, projet complexe, suppose d’abord la construction d’une sculpture. Y sont appliquées des impressions autophotographiques de l’artiste. L’artiste est statufié pour les fins de recherche dans une pose qui rappelle celle si caractéristique du dieu aztèque Xochipilli.

Jean-Jacques Lachapelle

Le processus créatif de l’artiste

À partir de la photographie à 360 degrés d’espaces urbains ou naturels, je crée des compositions qui représentent de nouveaux lieux, de nouveaux paysages imaginaires que nous habitons, un peu comme si nous étions les médiateurs de ces petits univers incertains. Au moyen du surréalisme, je propose donc un questionnement sur la véritable identité des choses. Je pense qu’il y a jadis existé un être qui façonnait les paysages d’images dont nos esprits ont hérité l’imaginaire. À la fois source d’inspiration et source d’expression, je scrute certains de ces paysages afin d’en révéler de nouveaux, de faire surgir des images qui nous lient à eux, et eux à nous. Mon travail porte aussi sur le développement de techniques de sculpture et d’imagerie à 360 degrés qui se traduisent pour l’instant par la fabrication d’instruments laborieux et de grandes tailles. L’utilisation conjointe du modèle vivant et de la mise en scène me permet de créer des personnages sculpturaux à différentes échelles ainsi que des animations de personnages, de portraits et de paysages surréalistes à 360 degrés. De paysages à personnages, je crée ainsi de nouvelles unités picturales et sculpturales. Je suis aussi ouvert aux commandes du public qui souhaiterait un portrait ou un panoramique à 360 degrés sur mesure. Ma vocation pour la discipline de la création à 360 degrés me permet ainsi de créer des œuvres plus ou moins fondamentales à partir de ces visions qui, un peu comme la subjectivité d’y voir quelque chose ou de n’y voir absolument rien, se livrent à nos yeux comme jamais. 

Francis Boivin

Francis Boivin

Francis Boivin vit et travaille à Rouyn-Noranda. Après l’obtention d’un diplôme d’études collégiales en arts plastiques, il amorce un baccalauréat avec majeure de création en multimédia interactif (Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue), et termine en 2009 un baccalauréat en arts et design, concentration : arts visuels à l’École multidisciplinaire de l’image (Université du Québec en Outaouais), Gatineau. En 2015, il a été récipiendaire du prix Relève en arts et culture de l’Abitibi-Témiscamingue.

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